Le projet de loi organique N°41/2019 relatif aux droits des patients et à la responsabilité médicale a été examiné le 31 juillet 2019, à l’ARP. Mûrement construit, il est destiné à garantir les droits des patients et à protéger les médecins en créant un cadre légal clair pour ce qui est de la responsabilité médicale. Malgré son importance, ce projet de loi n’a pu être voté faute de quorum…
Plusieurs médecins ont crié au scandale à la suite de la levée de la plénière consacrée au vote du projet de loi organique relatif aux droits des patients et à la responsabilité médicale, faute de quorum. Fruit d’un travail de trois ans entrepris par une commission dédiée, ce projet de loi allait enfin poser un cadre légal régissant la responsabilité des soignants et les droits des patients.
Depuis quelques années, la médiatisation d’affaires faisant référence à de supposées fautes médicales, avérées ou pas, a conduit à la nécessité de légiférer sur la question. Ce projet devait ainsi éviter aux patients des procédures légales longues et éreintantes et aux médecins des abus qui ont parfois fini par détruire des carrières et qui ont obligé certains d’entre eux à pratiquer ce qu’on appelle la médecine « défensive ». Par crainte poussée de se voir trainés dans la boue, beaucoup de médecins ont désormais tendance à prescrire des examens complémentaires, parfois pas forcément nécessaires, ou encore à prolonger la durée du séjour de leurs patients sans que cela ne soit justifié. Le recours aux nouvelles techniques thérapeutiques est parfois aussi évité pour limiter les risques d’une quelconque confrontation en cas de préjudice non fautif.
Cette attitude méfiante et l’altération croissante de la confiance entre patients et praticiens, finit par léser la profession, dans la mesure où elle freine le progrès de la médecine en Tunisie. Elle a aussi l’inconvénient de coûter cher au contribuable qui se plaint souvent d’avoir à subir une panoplie d’examens sans toujours être convaincu de leur nécessité.
« Pendant des mois et des années, une commission d’experts bénévoles a travaillé jour et nuit afin de préparer un projet de loi qui protège le droit des patients. Ce travail acharné a fini par aboutir à un projet de loi qui permettrait d’éviter toute la vague de populisme qu’on voit de la part des différents politiciens, journalistes et députés suite aux incidents qui peuvent survenir dans les hôpitaux! Dans l’indifférence totale, et dans une euphorie inexpliquée, ce projet n’a pas pu voir le jour à cause de l’absentéisme des députés ! Quel gâchis ! », s’était indignée Kaouther Zribi, assistante hospitalo universitaire en pharmacie.
« Les députés n’étaient pas capables de voter en quelques heures un projet de loi d’une telle importance. S’agissant d’une réforme révolutionnaire et d’un texte qui comporte plus de 50 articles à examiner, dont certains sont sujets à discussion. Il faudrait prévoir une plénière dédiée au sujet, voire deux jours pour arriver au vote. C’est ce que nous ont expliqué les députés » nous a confié, pour sa part, Aida Borgi, membre du comité de réflexion sur le projet de loi sur la responsabilité médicale.
« Ce projet de loi s’articule autour de trois axes principaux. D’abord il a fallu définir et expliquer les termes juridiques. N’est pas faute médicale toute complication qui survient à la suite d’un acte médical et ça, il a fallu l’expliquer et le délimiter. La première partie du projet y a été dédiée. Ensuite et la partie la plus conséquente, a été allouée aux droits des patients. Jusque-là, aucun texte de loi n’y était dédié et il a fallu tout règlementer. Il s’agira notamment des droits des patients à être informés des diagnostics, des traitements proposés, des actions préventives à effectuer, des moyens et méthodes disponibles pour leur traitement et surtout des risques qu’ils encourent et des complications possibles. Autre point important, ils auront droit à accéder à leurs dossiers médicaux. Les patients en situation d’extrême urgence auront aussi le droit d’être pris en charge avant la constitution de leur dossier administratif, ce qui ne se faisait pas jusque-là… » ajoute Dr Borgi.
Autre point important lié aux droits des patients, ces derniers auront droit à une indemnisation, en cas d’accident ou de faute médicale, avec une procédure simplifiée. Le ministère de la Santé, en collaboration avec les départements de la Justice et des Finances, a pensé la mise en place d’un processus de règlement à l’amiable permettant aux victimes de fautes médicales involontaires d’obtenir une compensation financière, conformément aux conditions et procédures prévues dans ce projet de loi.
« Ce processus d’indemnisation sera supervisé par des comités régionaux créés à cet effet et présidés par un juge administratif ou judiciaire expérimenté. Si un consensus n’est pas trouvé, le patient pourra toujours recourir à la justice conventionnelle. C’est son droit » a ajouté Aida Borgi.
« A travers cette nouvelle loi, une formule de compensation des dommages liée aux accidents et fautes médicales non-intentionnelles, sera mise en place dans les secteurs de la santé publique et privée, sur la base des partages des charges entre les différents acteurs du secteur avec la création d’un Fonds dédié » a-t-elle également précisé.
« La victime d’un accident médical a le droit d’être indemnisée, même s’il s’agit d’un accident non-fautif, le préjudice est là. Les patients victimes de fautes médicales ou d’accidents médicaux sont souvent condamnées à attendre des années pour obtenir dédommagement et justice. Les délais de la procédure peuvent aller jusqu’ à 15 ans pour se solder par un non-lieu pour le soignant et un non-dédommagement pour la victime, dans la mesure où la faute n’est pas systématique et reste difficile à prouver. Dans le cas d’un règlement à l’amiable, la nouvelle loi va permettre de simplifier ces procédures, de les rendre moins lentes et surtout, grâce à la présence d’un comité d’experts, de les rendre moins arbitraires. Nous avons fixé à deux mois renouvelables, les délais pour rendre les résultats des expertises, ainsi, la procédure d’indemnisation est rapidement lancée en cas de faute involontaire. Nous avons aussi tenu à instaurer la démocratie sanitaire, c’est-à-dire donner le droit aux patients de participer à la prise de décision concernant leur traitement. Cela permettra de renforcer la confiance entre le patient, plus impliqué dans ses soins, et le soignant qui lui aura expliqué et montré les différentes alternatives qui s’offrent à lui» nous a enfin précisé Aida Borgi.
Le projet de loi organique relatif aux droits des patients et à la responsabilité médicale est un sujet épineux. Le lynchage médiatique dont disent être victimes les médecins, suite aux différents scandales qui ont fait polémique ces dernières années, et le nombre important de plaintes déposées contre les soignants, ont poussé le ministère de la Santé à prendre les choses en main pour créer enfin un cadre légal clair et protéger ainsi les médecins « souvent accusés à tort et à travers ».
Ce projet de loi destiné à « garantir les droits des patients et à définir la responsabilité médicale » suscite de nombreuses interrogations. Elaboré par une commission multipartite, il y a lieu de s’interroger si ce projet de loi garantit autant les droits des patients que ceux des médecins, très impliqués dans son élaboration. Mais c’est en garantissant et en clarifiant les droits des patients qu’on protège la profession, disent les médecins. C’est donc à un débat intéressant que l’on devrait s’attendre lors de la plénière qui lui sera consacrée à l’ARP et dont on ignore à l’heure actuelle la date…
Source : https://www.businessnews.com.tn
Auteur : Myriam Ben Zineb